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COMMENT LE CONFLIT ENTRE LA RDC ET LE RWANDA A DYNAMITÉ LE SOMMET DE L’UA

Tandis que le M23, poursuit sa progression dans l’est de la RDC, les tensions entre Kinshasa et Kigali ont gagné l’Union africaine, où la crise a été au cœur des discussions. Par Olivier Caslin, Jeanne Le Bihan, et Carien du Plessis

De g. à dr. : le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, le président sortant de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, et le commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité de l’UA, Bankole Adeoye, lors de la réunion du Conseil de paix et de sécurité sur la situation au Soudan et en RDC, au siège de l’UA, à Addis-Abeba, le 14 février 2025. © Amanuel Sileshi / AFP

La réunion des quinze membres du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a mal commencé, le 14 février. La conférence, présidée par le chef de l’État équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, et menée par le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, était consacrée aux crises au Soudan et dans l’est de la RDC. Mais le discours introductif n’a mentionné que la première, suscitant la colère de la délégation congolaise.

Celle-ci était dirigée par la Première ministre, Judith Suminwa Tuluka. Le président Félix Tshisekedi, qui devait prendre sa suite à compter du 15 février pour la conférence des chefs d’État, a finalement décidé de retourner à Kinshasa, alors que les rebelles du M23 ont investi la ville de Bukavu et que l’armée congolaise et ses alliés burundais ont décidé de se replier.

La cheffe du gouvernement congolais s’est entretenue, lors de son arrivée au siège de l’Union africaine, avec le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et le président angolais João Lourenço, jusqu’à présent médiateur désigné par l’UA pour résoudre le conflit dans l’est de la RDC. Suminwa Tuluka s’est excusée de l’absence du président congolais, « en raison des circonstances ».

« Le Rwanda n’a rien à voir avec les problèmes de la RDC »

Félix Tshisekedi et son homologue rwandais Paul Kagame étaient invités à se rendre à la réunion du CSP. Le Rwandais est arrivé à mi-parcours, et était au départ représenté par son ministre des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe. Lors de la conférence, qui se déroulait dans l’ancien siège de l’UA, les pays membres du CPS ont présenté leurs déclarations concernant le conflit. Le bureau sortant, en partie renouvelé lors des élections cette semaine, est composé de l’Angola, du Botswana, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la RDC, de Djibouti, de l’Égypte, de la Guinée équatoriale, de la Gambie, du Maroc, de la Namibie, du Nigeria, du Sierra Leone, de la Tanzanie et de l’Ouganda.

La Première ministre congolaise a, lors de son allocution, appelé les pays membres à des sanctions contre le Rwanda pour son soutien militaire aux rebelles du M23. « La position de la RDC est claire, commente une source dans l’entourage de la Première ministre. Le Rwanda ne peut pas envahir un pays souverain sous prétexte de venir y poursuivre des génocidaires et dans la foulée exporter nos minerais et les vendre en son nom. La RDC a ses problèmes, mais personne n’a demandé au Rwanda de les résoudre pour elle. »

Quant au président rwandais, il s’est montré très tranchant à son arrivée, durant son discours. « Si le jeu des reproches, les beaux discours, les mensonges, l’impudeur étaient la solution à ce problème, il aurait pris fin depuis longtemps, a-t-il déclaré. Quand la RDC prendra-t-elle la responsabilité de son propre désordre ? Comment peut-elle penser que tous ses problèmes viennent de l’extérieur, et donc externaliser les solutions à ses propres problèmes ? Le Rwanda n’a rien à voir avec les problèmes de la RDC. »

Les discussions, débutées avant 19 heures, se sont poursuivies jusqu’à 23 heures. Paul Kagame s’est notamment entretenu seul à seul avec João Lourenço, puis avec António Guterres. Les membres du CPS ont décidé au terme de leurs délibérations de consulter les « parties intéressées » avant de rendre le communiqué public. Ce dernier devrait, selon nos informations, endosser les conclusions du sommet conjoint EAC-SADC du 8 février de Dar es Salaam, qui a préconisé le cessez-le-feu, la cessation des hostilités et la réouverture de l’aéroport de Goma.

Une source au sein de la délégation rwandaise affirme à Jeune Afrique être très satisfait de la réunion. Le CPS soutient également la fusion des deux processus régionaux de Nairobi et de Luanda, et appelle au dialogue politique entre les parties. Les conclusions de Dar es Salaam devaient mener, sous cinq jours, à une réunion entre les différents chefs d’état-major des pays membres, mais cette dernière a été reportée en raison du sommet de l’Union africaine.

Condamnation sud-africaine

Pour l’heure, aucune des trois recommandations de Dar es Salaam n’a été appliquée. Les rebelles du M23 affirment que la réouverture de l’aéroport de Goma n’est pas possible en raison des dégâts causés par les combats fin janvier. Le groupe armé, épaulé par les forces rwandaises, a poursuivi son avancée dans le Sud-Kivu le 14 février, et a pénétré dans la capitale provinciale, Bukavu, après avoir pris le stratégique aéroport de Kavumu, à une trentaine de kilomètres.

L’Afrique du Sud était représentée au cours de la réunion par son ministre des Affaires étrangères, Ronald Lamola. Quatorze soldats sud-africains, combattant aux côtés des FARDC, ont été tués lors de la prise de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, fin janvier. Leurs corps n’ont été rapatriés que le 13 février avec l’aide de la Monusco, les Sud-africains refusant de passer par le Rwanda, et une cérémonie d’hommage a été présidée par Cyril Ramaphosa avant son départ pour Addis-Abeba, en Éthiopie.

Ronald Lamola a exprimé, en amont de la réunion du CPS, son inquiétude concernant la situation dans l’est de la RDC. « La situation continue de se détériorer, comme le montre la situation aujourd’hui à Bukavu, qui témoigne d’un mépris pour le cessez-le-feu. Par conséquent, des efforts concrets doivent être entrepris d’urgence par le CPS pour résoudre la situation actuelle », a-t-il déclaré.

Lors de la réunion, le ministre sud-africain a dénoncé les agissements du M23, le soutien des troupes rwandaises au groupe rebelle, et une situation « tout à fait épouvantable et inacceptable ». « L’Afrique du Sud condamne fermement les activités récentes des rebelles du M23 dans le Nord-Kivu et les environs. Le respect de l’intégrité territoriale de chaque pays est un principe sacro-saint ». Les troupes sud-africaines sont présentes dans l’est de la RDC depuis plus d’une décennie, au sein des forces des Nations unies ou de la SADC. Des renforts sud-africains, entre 700 et 800 hommes selon Reuters, ont été envoyés à Lubumbashi, capitale provinciale du Sud-Katanga, durant la première quinzaine de février.

Ambassadeur confiné

La montée des tensions lors du sommet de l’Union africaine ne s’est pas arrêtée là. D’après nos informations, une partie de la délégation de la RDC a été empêchée de se rendre au sommet par les services de sécurité éthiopiens, le 15 février au matin. L’ambassadeur de la RDC en Éthiopie, représentant permanent auprès de l’UA, Jean-Léon Ngandu Ilunga, en fait partie. Selon la délégation congolaise, contactée par Jeune Afrique, entre cinquante et soixante personnes sont concernées : des membres du protocole, de la sécurité rapprochée, de la presse, de l’intendance et de la logistique, « tous accrédités ».

La Première ministre a quant à elle pu rejoindre sans problème le centre de conférence. « En milieu de chemin, les chauffeurs ont été sommés de rentrer vers leurs hôtels respectifs, avec défense de bouger », explique une source à la primature. « Les services de sécurité éthiopiens ont entouré l’hôtel avec des militaires lourdement armés », affirme un membre de la délégation.

Les autorités éthiopiennes ont évoqué officiellement un quota d’accompagnateurs largement dépassé, mais invoqué officieusement la nécessité d’éviter tout débordement. Les militaires ont pris prétexte d’une manifestation organisée en 2024, au cours du sommet de l’UA, par la société civile congolaise pour organiser l’opération et empêcher la délégation de se rendre au sommet, au nom de la protection des dirigeants africains présents.

L’ambassadeur, attendu avec la Première ministre au sommet de l’Union africaine – le nouveau président de la Commission, Ali Mahamoud Youssouf, vient d’être élu par les pays membres, tout comme la vice-présidente, l’Algérienne Selma Malika Haddadi –, a tenté de négocier avec les autorités éthiopiennes, sans succès. « Le sort réservé à la délégation est inadmissible pour un pays ami. C’est une discrimination », affirme Jean-Léon Ngandu Ilunga à Jeune Afrique. Toujours selon nos informations, la situation a finalement été débloquée en début d’après-midi par Judith Suminwa Tuluka. La Première ministre congolaise a demandé l’intervention de Gedion Timotheos, le ministre des Affaires étrangères éthiopien.

Mais l’incident n’est pas clos : Judith Suminwa Tuluka a refusé de poser pour la photo de famille avec les chefs d’État… où figurait en revanche le président rwandais Paul Kagame. « Le problème de ce matin a contribué. Mais ce refus est d’abord une protestation par rapport à la position des membres de l’UA sur la situation, à commencer par celle de Moussa Faki Mahamat, et sur l’inertie de l’UA face au Rwanda »

Auteur: MANZI
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