L'Afrique que on veut

PROCES DU NEGATIONNISME DE CHARLES ONANA DU GENOCIDE CONTRE LES TUTSI (INTERROGATION DE .

On ne peut s’empêcher de partager cet article écrit sous la direction et contextualisation de Jean-François Dupaquier. L’article reprend diverses audiences du procès d’Onana et les audiences de ses avocats et témoins, ainsi que des notes d’audience de Survie, Ibuka France et divers observateurs.

Colonel Luc Marchal, haut officier belge qui a fait l’éditorial du livre incriminé d’Onana

Charles Onana se retire, l’éditeur Damien Serieyx est invité à son tour à la barre.

Madame la Présidente : Que pouvez-vous nous dire sur les faits reprochés ?

Damien Serieyx : – Que je suis étonné de me retrouver là, c’est la première fois. J’ai décidé de publier ce manuscrit parce qu’aucune étude scientifique à ce jour n’avait été faite sur le sujet. C’est un livre très dense qui m’a paru très sérieux . Je l’ai lu, je l’ai fait lire. Le livre m’a semblé extrêmement documenté. J’ai vérifié moi-même un certain nombre de sources : il y avait là une richesse éditoriale à offrir. Et enfin, ce livre venait d’une thèse soutenue à l’université Lyon-3 qui avait obtenu les félicitations du jury et avait donc été validé par l’université française. En tant qu’éditeur, j’ai rédigé moi-même la 4e couverture. Elle contient une validité explicite de la réalité du génocide.

L’intervention de l’éditeur Damien Serieyx

Madame la Présidente : Pouvez-vous expliquer la citation de Shimon Peres sur la quatrième de couverture ?

Damien Serieyx : – Cette phrase fait référence à l’opération Turquoise. Peres s’adresse à Mitterrand et lui dit « Si nous avions fait une telle opération pendant la Seconde Guerre mondiale, nous n’aurions pas connu la Shoah ».

Madame la Présidente : – Mais dans l’ouvrage, il y a des passages qui ne concernent pas uniquement Turquoise…

Damien Serieyx : – Je ne partage pas ce sentiment.

Madame la Présidente : – Ce n’est pas un sentiment, c’est le résultat d’une lecture objective de l’ouvrage.

Damien Serieyx : – Ce sont des éléments nécessaires pour présenter le contexte.

La Présidente : « Avez-vous lu la thèse ? »

Madame la Présidente : Avez-vous lu la thèse ? Quelle différence avec l’ouvrage publié ?-

Damien Serieyx : – J’ai lu la thèse et il y a des passages que Charles a montré et qui sont identiques au livre.

Madame la Présidente : – Comment avez-vous pris connaissance de ce travail ? Le manuscrit vous a-t-il été recommandé ?

Damien Serieyx : – Non, Charles est venu me le présenter.

Madame la Présidente : – Avez-vous publié d’autres livres sur l’Afrique ou sur le génocide ?

Damien Serieyx : Quelques livres sur l’Afrique mais pas sur cette thématique particulière. J’ai publié deux autres livres de Charles : un livre sur l’attentat et un sur le Congo.

Madame la Présidente : – Le livre sur l’attentat a-t-il été attaqué ?

Damien Serieyx : – Non.

« Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple », vous êtes sérieux ?

Me Delhoume (LDH, FIDH) : – Quand vous publiez un livre historique, faites-vous des vérifications ? Par exemple, concernant l’extrait (page 437) sur « Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple […] », vous êtes sérieux ? Avez-vous fait des recherches sur cette décision de condamnation ?

Damien Serieyx : – Non, j’ai regardé le livre d’Epstein et j’ai considéré qu’Onana reprenait les mots d’Epstein [dans Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].

Me Delhoume : – Mais ensuite, il y a une citation du livre d’Epstein, donc les propos incriminés sont de la plume d’Onana ?
Damien Serieyx : – Pour moi ces propos correspondaient au livre cité.

Me Gisagara (CRF) : – Avez-vous vérifié les sources utilisées ? De quelles sources s’agit-il ?

Damien Serieyx : – Je ne suis pas historien, mais Onana m’a présenté des facs similés de documents dont les notes du général Quesnot [chef d’état-major particulier du président Mitterrand en 1994] ou de Monsieur Dallaire [commandant la MINUAR, mission des Nations-Unies d’assistance au Rwanda] : ce sont des sources fiables.

« Je ne suis pas historien, mais Onana m’a présenté sources fiables »

Me Gisagara : – Pourtant, c’est Monsieur Graner qui a le premier consulté ces archives. Comment pouvez-vous être sûr que ces documents [présentés par M. Onana] étaient fiables ?

Damien Serieyx : – J’ai vu les signatures de Quesnot et Dallaire, ça m’a suffit.

Me Heinich : – Saviez-vous qu’aucun des passages visés par la plainte ne figure dans la thèse initiale ?

Damien Serieyx : – Je ne les avais pas pointés précisément.

Me Heinich : – Un rapport rédigé par des universitaires a critiqué la thèse. Cette derniere a fait l’objet de controverse. En avez-vous eu connaissance ?

Damien Serieyx : – Oui, mais pour moi les félicitations du jury étaient un gage suffisant.

Me Heinich (Survie) : – Savez-vous qu’après il y a eu encore un rapport sur cette thèse ?

Damien Serieyx : – Non. Mais comme je vous l’ai dit, c’est une thèse qui a été validée par l’université française ! Avec les félicitations du jury ! Ce qui m’a suffit.

Me Pire (Avocat de la défense) : – Vous attendiez-vous à être poursuivi pour des propos du livre concernant le génocide ?

Damien Serieyx : – Non, je le répète : je suis étonné.

Audition du colonel Luc Marchal

Premier témoin cité par Charles Onana, le colonel belge fait assez bonne impression lors de sa présentation initiale. D’apparence solide, modéré, il construit son témoignage autour de son expérience sur le terrain dans la région des Grands Lacs, de ses années au Congo-Zaïre comme coopérant militaire en 1977 et pendant la guerre des 80 jours[7], jusqu’à son arrivée au Rwanda en décembre 1993 en tant que commandant du secteur Kigali de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).

Luc Marchal estime être un bon connaisseur de la région des Grands Lacs et de l’histoire du Rwanda bien qu’il n’ait mis les pieds au Rwanda que durant quatre mois.

Il décrit la situation à Kigali quand il y arrive en décembre 1993. Selon lui, le gouvernement se conformait de bonne foi aux exigences des Accords d’Arusha, mais le FPR, pas du tout. Il juge que le Front patriotique attisait les tensions, ses troupes portant ostensiblement des armes malgré le confinement des armes en centre-ville.
Selon lui, sa nationalité belge était un atout pour comprendre la société rwandaise où cohabitent différentes communautés ethniques, comme dans son pays natal. Il glisse que les relations entre Hutu et Tutsi au Rwanda rappellent la fracture entre Wallons et Flamands. En quelque sorte, les Belges seraient plus à même de comprendre le Rwanda.

Selon Marchal, sa nationalité belge était un atout pour comprendre le Rwanda

« J’ai toujours exercé une attitude de stricte neutralité », affirme le militaire. Les violences commises contre les Tutsi à cette époque sont selon lui la faute du FPR. Le colonel Marchal évoque à ce propos une réunion tenue entre son supérieur le général Dallaire et des responsables du FPR. Un des représentants de la rébellion aurait déclaré quelque chose comme « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».

Sont totalement absents de ses souvenirs l’appareil d’État rwandais, les milices et les canaux de diffusion de la propagande de haine.

L’échec de la mise en place des institutions de transition est imputé par le colonel Marchal à de vagues « désaccords entre les partis ». Ici encore, peu de souci du contexte ni d’évaluation de la disproportion des forces.

Le colonel belge précise que les accords d’Arusha avaient le soutien de « l’immense majorité de la population rwandaise et le FPR est responsable de leur échec, en refusant de jouer le jeu démocratique ».

Pas un mot sur les milices

Il cite aussi Jacques-Roger Booh-Booh, représentant spécial du Secrétaire général des Nations-unies qui écrit que le FPR était « contre la paix ». Sans préciser que Jacques-Roger Booh-Booh l’écrit dans un autre livre signé de Charles Onana et édité par lui, « Le patron de Dallaire parle ».

Le colonel Luc Marchal profère ensuite des « vérités alternatives » qui ne peuvent tromper que des personnes totalement ignorantes de l’histoire récente du Rwanda. Selon lui :

Dans la nuit du 6 au 7 avril les militaires des FAR étaient rentrés dans leur caserne, on circulait dans Kigali sans voir de militaire ni de quadrillage organisé.

Le FPR n’avait eu aucune volonté de respecter le protocole sur les zones de conciliation d’armes, qu’il avait pour mission de vérifier. Pour lui, la situation de la population civile Tutsi importait peu au FPR, tant que cela servait ses intérêts.

Le FPR aurait attaqué juste après l’attentat et cela prouverait qu’il était prêt depuis des mois.

Après le 6 avril c’est le chaos complet, pillage, et pour voler on tue, les gendarmes sont occupés à autre chose.

Les premiers massacres sont les centaines de tués le 7 avril par le FPR muni de listes : professions libérales, médecins, enseignants, avocats.

En réaction les crimes du FPR ont suscité les autres massacres, c’est la seule explication plausible du génocide

Début avril, le FPR aurait refusé toute intervention de la MINUAR et toutes les demandes de cessez-le-feu de l’armée rwandaise destinées à mettre fin aux massacres.

Le FPR aurait seulement voulu la guerre et n’aurait jamais sauvé de Tutsi.

Des murmures du côté des parties civiles accompagnent cette série de contre-vérités et d’interprétations pour le moins hasardeuses.

Une série de « vérités alternatives » et d’oublis majeurs

Le colonel Marchal parle beaucoup des « massacres », des « hostilités ». Le terme génocide est absent de son propos, de même qu’il n’apparaît nulle part dans sa préface du livre de Charles Onana en cause. L’officier belge ajoute que les troupes de l’APR n’ont pas porté secours à leurs « frères tutsi »

De même, il reproche au FPR de ne pas avoir sollicité les troupes occidentales pour permettre l’évacuation des Tutsi menacés par les tueurs. Il semble oublier comment ses propres « Casques bleus » belges ont abandonné aux tueurs les quelque 3 000 Tutsi de l’ETO qui s’étaient rassemblés sous leur protection.

Luc Marchal affirme que dans les jours suivant le 6 avril 1994, le génocide pouvait être « jugulé » mais que la guerre relancée par le FPR marquait en fait le signe que ces massacres étaient l’aboutissement d’un processus prévu de longue date…

Le colonel Marchal oublie qu’il a abandonné aux tueurs les quelques 3000 Tutsi de l’ETO

Madame Delphine Chauchis le laisse achever sa déclaration puis lui demande les liens entre ce témoignage et l’objet de la plainte. Le colonel est hors-sujet. Lorsque la présidente l’y ramène, le colonel Luc Marchal est déstabilisé et dévie systématiquement.

Lorsque les avocats des parties civiles lui demandent s’il partage le
« constat judiciaire » du Tribunal pénal international pour le Rwanda, il affirme que tous les accusés du chef d’entente en vue de commettre le génocide ont été acquitté. Les avocats des parties civiles lui font remarquer que le Premier Ministre ainsi que plusieurs ministres du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) ont été condamnés pour ce motif.
En guise de conclusion, Luc Marchal rappelle avoir été membre du jury d’homologation de la thèse de Charles Onana en 2017 et lui réitère toute « la considération pour le travail d’investigation » de celui-ci. Il conclut sur le besoin de porter la voix des victimes de « l’holocauste des Grands lacs ».

Applaudissements de toute la partie congolaise du public. La présidente coupe court en exigeant l’évacuation des derniers rangs… puis se contente des départs volontaires de celles et ceux qui ont applaudi.

Luc Marchal nie la préméditation du génocide

Madame Chauchis demande au colonel Marchal s’il a pris connaissance de la raison de sa présence au tribunal. Elle précise qu’elle l’interroge sur le lien entre son témoignage et le génocide.

Réponse laborieuse de Luc Marchal. Il parle de guerre, d’évolution politique lente. Il évoque Kigali comme une ville « en état de siège » en 1993 avec une « menace latente » qui plane sur elle, sans plus de précision.

Il répète que l’attentat a constitué un traumatisme pour « l’immense majorité des Rwandais ». « Les choses ont commencé à déraper » après l’attentat [il nie la préméditation du génocide].

La parole est donnée aux avocates de la partie civile

Me Rachel Lindon, représentante d’Ibuka l’interroge sur le magazine extrémiste Kangura. Marchal concède qu’il est « indéniable qu’il y avait des extrémistes » sans les situer de façon précise dans leur proximité avec les membres du gouvernement : « Je regrette, c’était une minorité ».

Marchal :« Les extrémistes voulaient déstabiliser la MINUAR »

Le colonel Marchal précise que les extrémistes avaient pour but de déstabiliser la MINUAR et évoque de « fausses informations » dans lesquelles il range « l’Akazu » [le groupe mafieux dirigé par Agathe Habyarimana, l’épouse du président de la République]. Le but de ces « fausses informations » aurait été de diaboliser Habyarimana. Il affirme que le TPIR a montré, via le témoignage de sa veuve, que « Jean-Pierre », le lanceur d’alerte du génocide était en fait un agent du FPR. [A ce moment de son témoignage, les propos du colonel Marchal semblent assez décousus].

Marchal répète qu’il n’y a pas eu planification du génocide. Il prend pour preuve le fait que le colonel Bagosora n’a pas été condamné pour ce chef en appel : « Des instances judiciaires ont décidé qu’il n’y avait pas de planification ».

L’avocate lui demande s’il conteste l’existence d’une planification en vue de commettre le génocide. Il répond par une anecdote : dans les heures qui suivent l’attentat du 6 avril, il dit assister à un comité de crise des Forces armées rwandaises et décrit comme « abattus » les membres dudit comité, qui auraient supplié la MINUAR de soutenir la mise en place des institutions de transition.

Une interview où Paul Kagame aurait reconnu avoir fait abattre l’avion présidentiel

Le colonel Marchal conclut en déclarant que, vers 2h30 du matin le 7 avril 1994, dans la voiture qui le ramenait dans ses quartiers, il « n’a pas vu d’éléments militaires des FAR dans Kigali ».

L’avocate de Survie lui lit la liste des condamné-es par le TPIR pour « entente en vue de commettre un génocide ».

Quand on lui demande de répondre à la citation d’Onana sur « l’escroquerie », Luc Marchal biaise et ne répond rien de très précis.

Après les questions, Marchal conclut en se référant à une interview dans laquelle Paul Kagame avouerait avoir donné l’ordre d’abattre l’avion d’Habyarimana. Il répète que le FPR est responsable de l’attentat et de la reprise de la guerre.

C’est le moment des questions de l’avocat de Charles Onana. Il demande à Marchal d’expliquer la différence entre « Tutsi de l’intérieur » et « Tutsi de l’extérieur ».

Le colonel Marchal : « Selon Kagame, les Tutsi de l’intérieur étaient des collabos. »

Selon Luc Marchal, les premiers massacres sont commis par le FPR sur des listes préétablies.

L’avocat revient sur l’idée que le FPR n’aurait jamais pensé à sauver les Tutsi menacés : « Il suffisait de faire des zones protégées pour que les Tutsi aillent s’y réfugier », répond Luc Mqarchal.

Il explique que les troupes du FPR dans le CND avaient en fait initié les combats dans le sillage de l’attentat et qu’elles avaient pour feuille de route de fixer les troupes d’élite des FAR pour les empêcher d’aller se battre au nord… [il ne rappelle pas que ce détachement du FPR ne compte que 600 hommes , cherchent justement à s’extraire de Kigali pour survivre, qu’ils y sont assiégés et bombardés]

En répondant à l’avocat, Luc Marchal ajoute que : « en quelques heures, on est passé du calme au chaos le plus total » et que le « premier massacre de masse » le 7 avril 1994 est commis par le FPR sur la base de listes préétablies.

« Habyarimana était considéré comme un dieu et la réaction s’est amorcée d’elle-même : c’est tuer ou être tué », dit le colonel pour parler des massacres qui s’enclenchent alors.

Auteur: MANZI
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