« Il n’y a plus un grain de sucre dans le pays. Ou alors à un prix défiant tout entendement », explique Nelly K., habitante de Bujumbura. « Il n’y a pratiquement plus d’essence et de transport dans la ville. Tout est devenu très compliqué. C’est dur de vivre aujourd’hui au Burundi », continue cette femme, qui se dit « fière » que ses enfants soient en Belgique « pour ne pas voir ce que devient leur pays ».
« Et cette crise n’est pas liée à la situation en Ukraine, tout a commencé bien avant, il y a un an, en mai 2021 », poursuit un autre habitant de la capitale économique.
À cette époque, le président Évariste Ndayishimiye a décidé de fermer toutes les mines. En cause, les contrats miniers que le successeur de Pierre Nkurunziza trouvait trop défavorables pour les caisses de son pays. Du coup, plus un dollar du secteur minier dans l’escarcelle de l’État. « Et le constat est toujours le même aujourd’hui. Le business n’a pas repris et il faut s’attendre à de futurs procès devant les juridictions internationales. Procès que le pays va perdre pour non-respect des contrats, ce qui va encore aggraver la situation du pays », poursuit un observateur attentif de la vie burundaise.
Comme si ça ne suffisait pas, l’État burundais doit aussi faire face à une baisse importante de ses rentrées de devises à la suite de l’effritement constant et soutenu depuis quinze ans du secteur de production du café et du thé. En cause, la marge qui ne cesse de faiblir pour les petits producteurs qui ont préféré se tourner vers d’autres cultures plus rentables. Deuxième coup dur pour les caisses de l’État qui, vu son manque de liquidité, ne parvient plus désormais à acheter le pétrole qui arrive au port tanzanien de Dar es-Salam.
Pénurie d’essence et soucis en cascade
Conséquence logique : pénurie d’essence et donc un parc automobile qui tourne au ralenti mais aussi toute l’activité économique dans un pays où la fourniture d’électricité est erratique et les groupes électrogènes, qui fonctionnent à l’essence, incontournables. « Le prix de l’essence a augmenté de 30 % depuis le début de l’année. Certains chauffeurs de taxi doivent passer trois jours et trois nuits [à attendre] pour faire un plein d’essence. »
Face à ce souci, le règne de la débrouille et l’émergence d’un marché noir se sont développés, très rentables pour certains. Le prix officiel d’un litre de diesel est de 3 650 francs burundais (1,10 euro). Au marché noir, le litre peut atteindre 9 000 à 15 000 francs. « Une fois de plus, l’État perd de l’argent dans cette aventure car, évidemment, aucune taxe sur ce business au noir, donc aucune rentrée pour l’État. »
Interdiction des petits véhicules
Face à cette donne économique, les mouvements d’opposition ont eu tendance à connaître une certaine popularité, même si rien n’est apparent au Burundi. Le 21 mars, le gouvernement a décidé d’interdire du jour au lendemain tous les petits moyens de circulation (vélotaxis, mototaxis et « tchuk-tchuks ». Au moins 22 000 personnes qui vivent de ce secteur ont été privées de rentrées. « On estime que cela a aussi perturbé plus de 220 000 personnes, travailleurs et écoliers qui les utilisent chaque jour », commente un observateur, qui poursuit : « Et comme les transports publics sont souvent à sec, ces gens doivent marcher. Chaque jour, au petit matin et en soirée, ce sont de vrais exodes pédestres qui se dessinent à Bujumbura. » Les autorités ont atteint en partie leur objectif. Nombre de ces petits artisans des transports ont déserté la ville pour rentrer dans leur village, asséchant du même coup les éventuelles contestations.
Bouée européenne et Vatican
Face à cette catastrophe économique, le pouvoir burundais conserve le sourire. L’annonce, le 8 février dernier, de la levée des sanctions européennes ouvre la perspective d’une reprise de l’appui budgétaire suspendu depuis 2015.
« Les autorités tentent de se convaincre que l’argent va couler à flots. Le projet de budget, qui court de juillet 2022 à juin 2023, n’a toujours pas été déposé au Parlement parce qu’ils attendent les millions qu’ils vont pouvoir inscrire en provenance de l’UE », explique un observateur. « Lors de la première réunion entre le pouvoir et les ambassadeurs européens, c’était l’euphorie ici. Les ambassadeurs ont tenté d’expliquer que l’argent allait mettre du temps à arriver, que les projets devaient encore être définis et les conditionnalités discutées, rien n’y fit. »
« Dans le meilleur des cas, l’argent pourrait arriver en début 2024, mais rien n’est garanti, sauf que cela n’ira jamais plus vite », explique un spécialiste de l’UE.
Le Burundi se dirige donc vers des lendemains qui déchantent. Le premier rendez-vous avec ces désillusions coïncidera avec le dépôt du budget de l’État qui, jusqu’en 2015, dépendait à 55 % et plus de l’aide internationale.
Pour 2023, le Burundi, pays très majoritairement catholique, devra se « contenter » de l’annonce, faite la semaine dernière, de la venue du Pape et du lancement de la construction d’une basilique sur la colline sacrée de Mugera, « la Lourdes burundaise ».
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