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Procès Bucyibaruta : Accusé de génocide, des récits contrariés et contradictoires

L’ont-il « vu », et quand ? Au procès de Laurent Bucyibaruta, l’ex-préfet rwandais accusé de génocide, la cour d’assises de Paris a sondé pendant deux semaines la mémoire « embrouillée » et traumatisée de témoins. Par Anne-Sophie Lasserre

Le tribunal tente de reconstituer l’emploi du temps de l’accusé à l’aube du sanglant génocide de plus de 50.000 Tutsi, commis à Murambi au Sud du Rwanda.

Julienne Umugwaneza avait 16 ans lors du génocide au Rwanda. Elle a raconté à la barre les heures passées « à attendre la mort » sur le site de l’école en construction de Murambi, dans le sud du pays, où des dizaines de milliers de Tutsi ont été exterminés le 21 avril 1994.

« Ils ont achevé avec des machettes ceux qui avaient été blessés par des grenades », confie-t-elle, la voix brisée. Elle s’était cachée parmi les corps pendant que les assaillants « continuaient à tuer, frapper, découper ».

« Ils n’épargnaient personne. Ils éventraient même les femmes enceintes », témoigne un autre survivant, Philippe Ntete.

Vingt-huit ans après, la cour a auditionné plus d’une vingtaine de rescapés et des assaillants condamnés au Rwanda, se heurtant souvent au « chagrin perpétuel » qui « embrouille » la parole, aux souvenirs qui s’estompent, aux dates imprécises.

La tâche est complexifiée par la traduction des auditions en kinyarwanda et par l’état de santé de l’ancien préfet Laurent Bucyibaruta, jugé depuis le 9 mai pour génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité, des accusations qu’il conteste.

L’accusé souffre à 78 ans de pathologies multiples et doit être dialysé deux fois par jour. Les audiences sont limitées à trois heures le matin et quatre heures l’après-midi.

Un « emploi du temps extrêmement contraint », comme le rappelle régulièrement le président Jean-Marc Lavergne après avoir regardé sa montre quand un tour de questions s’étire.

Devant Hildegarde Kabagwira, une rescapée venue expressément de Kigali, le magistrat « s’excuse » en interrompant brusquement sa déposition, lui demande à la stupéfaction générale si elle souhaite finir son témoignage « un autre jour », en visioconférence. L’audition de cette partie civile reprendra finalement après une pause.

« Assurer leur sécurité »

La plupart des témoins auditionnés « se souvient » de Laurent Bucyibaruta. Préfet de la région de Gikongoro depuis près de deux ans quand débute le génocide, il était « l’autorité » locale, l’homme de « confiance », ont dit plusieurs d’entre eux.

Quand, sur les collines, les maisons des Tutsi sont incendiées les jours suivant l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, les réfugiés affluent dans les écoles ou les églises.

Le préfet décide de les rassembler sur le camp de Murambi, pour « assurer leur sécurité ».

Le fonctionnaire « leur a tenu une réunion. Il a dit que rien n’allait leur arriver », assure Cyprien Munyanziza, qui tenait un commerce près du site de Murambi en 1994.

Il a dit aux réfugiés qu’ils « devaient rester sur place », un « piège » dit aussi Jean Damascène Gahunzire, qui tenait une barrière près du camp, où de nombreux Tutsi ont été tués.

« Quand » le préfet aurait tenu cette réunion, il était « accompagné de qui » ?, questionne le président. « Vous l’avez vu ou c’est quelque chose que vous avez entendu dire ? », insiste-t-il face à certaines contradictions.

« Fausses informations »

Laurent Bucyibaruta, qui comparaît libre, couvre de notes un petit cahier.
Quand il est invité à réagir aux propos qui l’accablent, il s’empresse de rectifier ici ou là des « erreurs », de « dissiper de fausses informations ». Il répète que le « 11 avril » il ne pouvait être dans la région de Gikongoro puisque « tout le monde sait qu’il était à Kigali ».

L’accusé confirme une seule visite à l’école de Murambi, le 15 avril 1994, des réfugiés ayant réclamé son aide pour de la nourriture.

Sur ce site où s’entassaient selon les témoignages environ 50.000 personnes, plusieurs attaques sont repoussées. Le 21 avril à 3h00 du matin, débute un massacre qui ne laissera que quelques survivants.

Laurent Bucyibaruta conteste avoir été « au courant » d’une attaque imminente. Il nie aussi toute présence sur les lieux le matin de la tuerie, comme l’affirme un rescapé, Simon Mutangana.

François Mudaheranwa, qui a reconnu sa participation au massacre de Murambi et a été condamné pour génocide, dit pour la première fois devant la cour avoir vu le préfet le jour de l’attaque.

Le président relit ses précédentes déclarations. La défense joue cette fois encore la petite musique de la manipulation. « Qui vous a demandé de modifier vos déclarations pour venir accuser, charger le préfet à ce procès ? », lance Me Jean-Marie Biju-Duval, l’un des avocats de Laurent Bucyibaruta.

Le procès est prévu jusqu’au 12 juillet.

Auteur: MANZI
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