La République démocratique du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale au monde après l’Amazonie. © Guerchom Ndebo, AFP
Par l’odeur des profits pétroliers alléchée. La République démocratique du Congo va procéder, jeudi 28 et vendredi 29 juillet, à l’appel d’offres pour l’octroi des droits d’exploitation de 27 blocs de pétrole et trois blocs de gaz naturel.
Un projet phare pour le gouvernement du président Félix Tshisekedi, qui présente cette opération comme une nouvelle page dans l’histoire économique du pays. Le gouvernement estime qu’avec des réserves potentielles inexploitées permettant de produire jusqu’à un million de barils de pétrole par jour, le pays pourrait générer une rente pétrolière de plus de 30 milliards de dollars par an, explique le New York Times.
Tumulte dans la tourbière
Mais face à cet argument, des scientifiques et des ONG dénoncent une initiative qui mettrait en danger l’un des plus importants puits à carbone au monde : la forêt tropicale du bassin du Congo. « Nous demandons au président d’annuler ce projet suicidaire pour notre environnement car ces enchères risquent d’avoir un impact négatif sur le climat, la biodiversité et les communautés locales », assure Patient Muamba, qui s’occupe de la défense des forêts tropicales pour Greenpeace Afrique. Mardi, il a remis à la présidence du pays une pétition signée par plus de 100 000 personnes qui s’opposent à ces enchères pétrolières.
« 100 000 personnes, c’est bien, mais nous représentons un pays et les intérêts de ses [près de] 100 millions d’habitants et nous n’allons pas subir le diktat d’une ONG », a rétorqué Didier Budimbu, le ministre des Hydrocarbures, lors d’une conférence de presse organisée le même jour.
Cette bataille concerne plus spécifiquement neuf blocs sur les 27 mis aux enchères. Ils se situent sur le territoire de l’immense forêt tropicale de la République démocratique du Congo et plus spécifiquement de la Cuvette centrale, qui abrite une vaste zone de tourbière considérée comme un trésor mondial de biodiversité et un atout dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce qui met d’autant plus en rogne les ONG comme Greenpeace, c’est que le gouvernement de République démocratique du Congo est conscient de l’importance de cet écosystème unique. Il y a moins d’un an à la COP26 de Glasgow, Felix Tshisekedi s’engageait à protéger cette forêt pendant dix ans en échange d’un soutien financier international de 500 millions de dollars. Cet accord, cosigné avec le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, avait été salué comme « historique » par les Nations unies.
Malgré cet accord, le gouvernement a décidé, en avril, de procéder à un appel d’offres pour 16 blocs pétroliers, avant d’étendre ces enchères à 27 blocs début juillet, afin de « maximiser les opportunités pour le pays », selon le ministère des Hydrocarbures. « Nous sommes très étonnés par ce revirement, car à l’époque de la COP26, le président présentait la République démocratique du Congo comme un pays à solutions pour la crise climatique, et maintenant il s’apprête à devenir un pays à problèmes », regrette Patient Muamba.
« Potentiellement plus polluant que l’exploitation du charbon »
L’étendue du problème environnemental n’a été découverte que très récemment. C’est seulement en 2017 qu’une équipe de scientifiques a pu réaliser la première cartographie de la tourbière en République démocratique du Congo. Les chercheurs ont alors constaté qu’il s’agissait « de la plus vaste région de tourbière tropicale au monde – environ 165 000 km2 [deux tiers de ce massif forestier se trouvant sur le territoire de la République démocratique du Congo, le reste sur celui du Congo-Brazzaville, NDLR] –, qui est aussi la seule forêt tropicale à être encore un puits net de carbone », résume Bart Crezee, géographe à l’université de Leeds, qui a participé à la cartographie de cette région.
Cette région emmagasine davantage de CO2 qu’elle n’en rejette. La forêt de la Cuvette centrale représente ainsi l’une des dernières barrières naturelles au réchauffement climatique et, si elle venait à être endommagée, « elle risquerait de libérer tout le CO2 emmagasiné depuis des milliers d’années, ce qui transformerait la République démocratique du Congo en pays émetteur net de gaz à effet de serre », explique Richard Sufo Kankeu, géographe à l’université du Mans, qui a travaillé sur la forêt du bassin du Congo.
L’exploitation des gisements de pétrole dans cette région représenterait « l’activité d’extraction de ressources potentiellement la plus polluante au monde, davantage encore que l’exploitation du charbon », assure Bart Crezee. L’impact environnemental d’une telle entreprise serait effectivement double. Il y aurait l’effet déjà bien documenté de l’extraction du pétrole sur le climat auquel s’ajouterait la destruction d’un écosystème risquant d’aboutir à la libération de CO2 dans l’atmosphère.
« Nous estimons que les blocs de pétrole mis aux enchères couvrent environ un million d’hectares de tourbière, ce qui signifie qu’environ six milliards de tonnes de CO2 pourraient être libérées, soit l’équivalent de quatorze années d’émissions de gaz à effet de serre du Royaume-Uni », a résumé Simon Lewis, professeur à l’University College de Londres ayant dirigé les travaux de cartographie de la tourbière, dans un article paru sur le site The Conversation.
Le risque commence même au stade de l’exploration. « Il faudra construire des routes et d’autres infrastructures pour mener les travaux de recherche de pétrole, ce qui va déjà perturber le cycle de l’eau dans la tourbière. Et on sait que c’est l’humidité de cet environnement qui réduit la décomposition de la matière organique qui est à l’origine des émissions de CO2 dans l’atmosphère », prévient Bart Crezee.
Des gorilles et des hommes
À partir du moment où l’homme mettra un pied économiquement intéressé dans cette forêt tropicale, cela risque d’attirer beaucoup de monde. « Nous savons par expérience que lorsque l’on construit des routes dédiées uniquement à l’exploitation industrielle, des zones précédemment inaccessibles sont ouvertes aux acteurs extérieurs nuisibles tels que les bûcherons et les exploitants forestiers illégaux », estime Norah Berk, qui suit le dossier de la forêt tropicale de République démocratique du Congo pour l’ONG Rainforest Foundation UK.
Car il n’y a pas que le climat qui serait menacé. L’annonce de l’appel d’offres avait ému les ONG environnementales car un des blocs empiète sur le parc national des Virunga, une célèbre réserve protégée à la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda, qui sert d’habitat à une importante population de gorilles des montagnes, une espèce menacée d’extinction. « Mais il n’y a pas que les gorilles. La tourbière abrite, quant à elle, une multitude d’autres espèces comme les éléphants des forêts, des bonobos ou encore des crocodiles nains d’Afrique. Et on ne sait pas encore tout ce qu’on va trouver d’autre », rappelle Bart Crezee.
On sait, en revanche, que « des millions de personnes dépendent de cette forêt pour vivre », souligne Norah Berk. Elle craint que l’attribution de droits d’exploitation pétroliers dans cette région aboutisse à la destruction de leur mode de vie, et qu’une partie d’entre elles risque d’être expulsée.
« On n’en est pas encore à cette question. Pour le moment, on va attribuer des blocs pour explorer s’il y a du pétrole dans ces régions », a répondu Didier Budimbu à une question posée par France 24 au sujet du risque d’expropriation.
Une manne pétrolière pour réduire la pauvreté
Le ministre des Hydrocarbures n’a pas ménagé ses efforts ces derniers mois pour essayer de déminer le terrain et promouvoir cet appel d’offres. Il se souvient qu’en 2014, le documentaire britannique « Virunga » et l’activisme de deux stars d’Hollywood – Leonardo DiCaprio et Ben Affleck – avaient eu raison d’une précédente tentative d’exploiter des gisements de pétrole dans la région des Virunga.
« On ne va pas attribuer des blocs sans mener des études d’impact environnemental », a assuré à plusieurs reprises Didier Budimbu durant la conférence de presse de mardi. Son ministère a en outre indiqué que les progrès technologiques permettaient aujourd’hui de faire de l’exploration sans forcément mettre en péril l’environnement. Les forages peuvent dorénavant être faits avec une « précision chirurgicale » pour éviter d’affecter la tourbière, a insisté auprès du New York Times Tosi Mpanu Mpanu, négociateur pour la République démocratique du Congo sur les questions de climat et conseiller du ministre des Hydrocarbures.
Mais le gouvernement n’a pas fait que se défendre face aux accusations de préparer le terrain à une catastrophe écologique. Il s’est aussi montré très offensif : « Notre priorité n’est pas de sauver la planète » mais de générer de la croissance et réduire la pauvreté, a martelé Tosi Mpanu Mpanu. La République démocratique du Congo est l’un des pays les plus pauvres au monde avec 60 millions de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, d’après un rapport de la Banque mondiale de 2018.
Même son de cloche chez Didier Budimbu. « Quand on a de telles ressources, ce n’est pas pour s’en servir comme ornement, mais afin d’en faire profiter le pays et ses habitants », assure-t-il. Et d’ajouter : « Les gisements en hydrocarbures ne sont exploités qu’à 4,5 % de leur potentiel, ce qui fait froid dans le dos quand on sait toute la pauvreté qu’il y a dans notre pays. »
Les autorités déplorent aussi une condamnation à deux vitesses. Le pays fait l’objet de vives critiques alors que Joe Biden peut aller demander à l’Arabie saoudite d’augmenter la production de pétrole sans que cela n’émeuve outre mesure les ONG, souligne le New York Times. Idem pour la Norvège qui, dans l’indifférence générale et un contexte de hausse des prix de l’énergie, a annoncé son intention d’exploiter de nouveaux gisements de pétrole dans l’Arctique.
« Il ne faut pas non plus oublier le contexte politique en République démocratique du Congo », assure Richard Sufo Kankeu. Une élection présidentielle doit être organisée en 2023 et « la population sera forcément plus intéressée que de nouvelles routes soient construites et que les fonctionnaires soient payés, plutôt que le climat soit sauvé », affirme ce chercheur. La manne pétrolière pourrait alors devenir un bon argument électoral.
Reste que le gouvernement va rapidement se retrouver dans une situation inconfortable. C’est en effet à Kinshasa que vont débuter en septembre les travaux préparatoires pour la COP27 qui se déroulera ensuite en Égypte. Nul doute que la question du devenir de la forêt tropicale sera alors mise à nouveau sur la table.
Abonnez-vous pour voir la notification de nos nouvelles quotidiennes
RwandaPodium © All Rights Reserved. Powered by thesublime.rw