L'Afrique que on veut

FOOTBALL : Pourquoi Gianni Infantino, détesté en Europe, est si populaire en .

Réélu pour un troisième mandat à la tête de la FIFA, Gianni Infantino est l’une des personnalités les plus clivantes du sport. Critiqué en Europe, l’Italo-Valaisan est plus apprécié et se sent mieux compris en Afrique. Reportage à Kigali sur sa terre d’élection. Par Laurent Favre

Le président de la FIFA, Gianni Infantino, entouré d’anciens joueurs, lors de l’inauguration d’un stade Pelé, le 15 mars 2023 à Kigali. — © Jean Bizimana / Reuters

Au cœur de la Kigali des affaires, face à l’ambassade de Chine, un visage familier et souriant ouvre la porte d’un vaste plateau lumineux au sixième étage d’un immeuble moderne. Il sera peut-être un jour le troisième président valaisan de la FIFA. Pour l’heure, Gelson Fernandes s’épanouit dans son rôle de directeur régional de la division « Associations membres de la FIFA pour l’Afrique ».

« La FIFA a quatre bureaux régionaux, à Dakar, Brazzaville, Johannesburg et Kigali. Cela nous permet d’être au plus près de nos associations membres pour répondre à leurs questions et accompagner leurs projets », explique l’ancien milieu de terrain de la Nati en impulsant un énergique tour du propriétaire.

C’est spacieux, fonctionnel, sans luxe ostentatoire. Les locaux ont été mis à disposition par la présidence du Rwanda. « J’ai fait venir du mobilier récupéré à Zurich. Il faut que tout l’argent aille à nos projets de développement », insiste Gelson, nommé en août après une expérience d’une saison comme vice-président du FC Sion. L’argent, c’est celui du programme Forward de la FIFA, qui finance des projets de développement liés au football.

Le bureau de Kigali, qui emploie trois personnes, est normalement dédié aux pays du nord et de l’est du continent mais Gelson, qui se rend généralement sur le terrain « pour des missions courtes, intensives, d’un ou deux jours », a souhaité profiter de la tenue le lendemain à Kigali du 73e Congrès de la FIFA pour recevoir le plus de représentants possible dans sa subdivision.

A la mi-journée, sa liste est presque entièrement cochée : « 48 pays sont déjà passés », se réjouit-il. La Confédération africaine de football (CAF) en compte 54. « Cette proximité et ces échanges nous aident à établir une stratégie claire pour le développement du football dans les pays respectifs. » Car chacun vient avec ses propres besoins et ses problèmes spécifiques : difficultés à organiser un championnat féminin, besoin de fonds pour créer un centre de formation, etc. Des Gambiens sont venus demander conseil pour accompagner au mieux leurs joueurs M20, récents finalistes de la Coupe d’Afrique.


Le président de la FIFA, Gianni Infantino (à droite), offre un maillot de football au président rwandais Paul Kagame (à gauche), le 16 mars 2023 à Kigali. © Jean Bizimana / Reuters

Au Burkina Faso, le programme Forward a permis l’éclairage de quatre stades. « Cela permet de proposer plus d’entraînements, donc d’améliorer le niveau de nos joueurs », explique le président de la fédération (FBF), Lazare Banssé, qui détaille un processus rigoureux là où la FIFA était réputée très laxiste.

« C’est très sérieux, insiste-t-il, il faut justifier chaque dépense, produire des factures, limiter le cash. Tout ce qui sort est validé et contrôlé. » Ce que ce dirigeant apprécie tout particulièrement, et beaucoup d’autres avec lui, c’est la manière : « Les gens de la FIFA sont à l’écoute, sans paternalisme. »

Voilà l’image idéale que la FIFA aimerait plus souvent donner d’elle. « Nous devons mieux communiquer », admet Gelson Fernandes. C’est celle qui prévaut majoritairement sur le continent africain. C’est celle qui peut permettre à un regard européen de comprendre pourquoi Gianni Infantino est apprécié dans le reste du monde. Et pourquoi le président de la FIFA a choisi Kigali pour se faire réélire jeudi 16 mars pour un troisième mandat. Confirmé pour quatre années de plus, conforté par acclamation, l’Afrique est plus que jamais sa terre d’élection.

Partie de ballon avec Kagame

Un premier congrès électif tenu au Rwanda, quatre mois après la première Coupe du monde organisée au Moyen-Orient et dans le monde arabe, où une équipe africaine (Maroc) a pour la première fois atteint les demi-finales, tout cela se tient. D’ailleurs, le pays des Mille Collines, par ses liens commerciaux avec l’émirat et sa volonté d’apparaître sur la scène internationale comme organisateur de compétitions sportives, est un petit Qatar. Durant trois jours, la venue du petit monde de la FIFA a été une cause nationale, justifiant rues décorées, quartier bouclé, militaires omniprésents, défilés de gros 4x4 noirs.

Le mercredi, Paul Kagame et Gianni Infantino ont même joué au football, entourés de vieilles gloires, dans un stade rebaptisé au nom de Pelé mais interdit au public. Jeudi, ils sont entrés ensemble sur la scène de la BK Arena, magnifiquement décorée, tenant ensemble un ballon « fabriqué par des femmes rescapées du génocide ». C’est à ce moment-là que Gianni Infantino a eu la mauvaise idée de raconter que la capacité du Rwanda à se relever d’une guerre civile et ethnique inouïe (800 000 morts en trois mois) l’avait inspiré à surmonter les épreuves de sa première campagne électorale.

Il aurait pu dire que, tel l’homme fort du Rwanda depuis 2000, il a su surgir du chaos qu’était la FIFA pour parvenir au pouvoir puis s’y maintenir, c’eût été plus approprié. Mais Kagame ne parut pas choqué. « J’ai rencontré Gianni il y a 8 ans, dit-il à la tribune. Il était le dirigeant qu’il fallait à la FIFA à ce moment-là et ses réalisations me poussent à dire qu’il devrait continuer. » Infantino, qui lui avait confié l’organisation d’un premier congrès au Rwanda en 2018, et qui a placé en 2021 à la tête de la chambre d’examen du comité d’éthique de la FIFA le Rwandais Martin Ngoga, avait un nouveau cadeau pour son hôte. « Aujourd’hui, Kigali est la capitale du monde ! » s’écria-t-il.

Flatter l’électeur africain (54 pays), comme le caribéen (35), c’est s’assurer plus de 40% des voix et c’est vieux comme Sepp Blatter. Près de la piscine de l’hôtel Radisson Blu, où l’ancien buteur de l’URSS Oleg Protasov peine à émerger de sa brume équatoriale, un membre de la délégation de l’UEFA s’étonne d’être si bien logé. « Du temps des congrès sous Blatter, nous étions toujours expédiés à la périphérie. Il réservait les beaux hôtels du centre à ceux qu’ils voulaient choyer. » Cela peut vouloir dire qu’Infantino n’a même plus besoin de marginaliser les dix pays européens qui contestent sa politique. Ou que « Tonton Blatter » se contentait de prestige symbolique envers l’Afrique.

« Blatter le disait, Infantino le fait »

« Ce que Blatter disait, Infantino le fait, assure Juan Antonio Nguema Meñe Abeso, secrétaire général de la Fédération de Guinée équatoriale (Feguifut). Désormais, on sent réellement que ça bouge. Avec Gelson Fernandes, c’est très simple et efficace. Un mail, un téléphone ou un message WhatsApp et nous obtenons des réponses rapides, là où il fallait auparavant passer par une bureaucratie compliquée. »

Plusieurs responsables africains nous l’ont dit : ils se sentent plus écoutés qu’avant. Infantino, qui a côtoyé de nombreux futurs dirigeants lorsqu’il travaillait comme juriste au CIES de Neuchâtel, les comprend. Jeudi, sa première parole fut pour réaffirmer le grand credo de la FIFA : « 211 membres, bien plus que les Nations unies », où « chacun a les mêmes droits et la même importance », donc pas de Conseil de sécurité. Il leur parle lorsqu’il déclare vouloir « rendre le football réellement mondial. »

L’une de ses premières mesures en 2016 consista à faire élire la Sénégalaise Fatma Samoura au poste de secrétaire générale. Une femme et une Africaine, double symbole, présentée aux membres quatre minutes avant le vote. Et tant pis si, depuis, Fatma Samoura ne joue qu’un rôle décoratif.

« We love you President ! » lança-t-elle, prenant à peu près sa seule initiative de la semaine, au moment où Gianni Infantino était en train de diviser le monde en deux catégories, ceux qui l’aiment et les autres. A Kigali, ceux qui ne l’aimaient pas étaient essentiellement Européens, Scandinaves ou Anglo-Saxons, et pour beaucoup journalistes. « Pourquoi ne m’aimez-vous pas ? a demandé Gianni Infantino. Sans doute parce que je ne donne pas d’interview… »

Le problème n’est pas qu’il ne parle pas aux médias occidentaux, mais qu’il ne parle pas du tout aux Occidentaux, en ce sens que tous ses discours, toutes ses analogies scabreuses (le racisme et ses taches de rousseur, le nombre d’équipes africaines en Coupe du monde et les morts en Méditerranée), jusqu’à son chef-d’œuvre – l’anaphore de Doha (« Aujourd’hui, je me sens Qatari, aujourd’hui, je me sens Arabe, aujourd’hui, je me sens Africain, aujourd’hui je me sens homosexuel, aujourd’hui je me sens handicapé, aujourd’hui je me sens migrant. ») –, ne visent qu’une audience, qui n’est pas européenne.

A chaque langue son message

Il fut frappant jeudi, lors de son Message au Congrès, de le voir jongler entre les langues en fonction de son propos. Infantino parla en allemand d’égalité et de climat, en espagnol de la réglementation des transferts, mais en français et en anglais, les deux langues européennes les plus parlées sur le continent africain, des questions d’argent et des nouveaux projets, qui tous favoriseront l’Afrique. En Europe, le football est devenu un produit commercial proche de la saturation dont il convient de préserver l’essence. En Afrique, beaucoup reste à faire et à développer.

Le potentiel sportif est aussi grand que la soif de reconnaissance internationale et de pouvoir symbolique que ce sport charrie. « J’entends dire qu’il y a trop de matchs ; peut-être mais pas partout », lâcha Gianni Infantino. « Il faut accepter que la vision européenne ne soit pas la seule », admet Dominique Blanc, le président de l’Association suisse de football. L’Afrique aura en 2026 neuf places en Coupe du monde (au lieu de cinq) et accès à plus de matchs de clubs et de sélections contre d’autres continents, et plus de compétitions de jeunes et féminines.


Un délégué africain félicite Gianni Infantino (au centre de l’image) après son élection, le 16 mars 2023 à Kigali. © Simon Maina / AFP Photo

L’Afrique, comme les cinq autres confédérations, a aussi reçu d’Arsène Wenger l’assurance de voir s’implanter au moins un centre de formation par pays. « Je me réjouis de voir notre quota de places doubler, mais ce qui est le plus important, ce sont les plans de développement du football sur le continent africain », pointa Paul Kagame.

Même si elles sont peu audibles, des voix critiques s’élèvent aussi à Kigali. « L’action de la FIFA est à double tranchant : l’Afrique obtient plus de places dans des compétitions gigantesques que le continent ne sera plus jamais en mesure d’organiser. Infantino a tué le principe de rotation que Blatter avait instauré », estime Abdoulaye Thiam, directeur adjoint du média dakarois Sud Quotidien. Cette semaine, le Maroc s’est pourtant déclaré, pour 2030, mais avec l’Espagne et le Portugal.

La CAF, un département de la FIFA ?
Surtout, le président de la FIFA froisse l’orgueil africain lorsqu’il intervient directement dans les affaires de la Confédération africaine. « La FIFA outrepasse son rôle », regrette Abdoulaye Thiam. « Il n’y a pas d’ingérence. La FIFA et la CAF sont sur la même longueur d’onde, c’est tout », répond l’Equato-Guinéen Nguema Meñe Abeso.

Et pour cause ! Après avoir fait tomber le Camerounais Issa Hayatou, un proche de Blatter qui régna sur le football africain durant vingt-neuf ans, pour placer le Malgache Ahmad Ahmad en 2017, Gianni Infantino sillonna l’Afrique à bord d’un jet privé de Qatar Airways en 2021, visitant 11 pays en onze jours, afin que trois candidats s’effacent au profit du Sud-Africain Patrice Motsepe en 2021. L’accord final fut négocié à Rabat par Veron Mosengo-Omba, un Suisse d’origine congolaise que Gianni Infantino connut sur les bancs de l’Uni de Fribourg, et qui a depuis quitté la FIFA pour devenir secrétaire général de la CAF.

Alors, jusqu’à quand durera l’histoire d’amour de Gianni Infantino avec le continent africain ? Un ex-collaborateur de Michel Platini se souvient d’une leçon que lui répétait ce dernier à l’UEFA : « Tu distribues l’argent et on t’aime pour cela. Mais n’oublie pas que c’est moi qui le gagne et qu’on t’aimera aussi longtemps que tu en donnes plus que la fois d’avant. »

Auteur: MANZI
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