L'Afrique que on veut

« Les BRICS veulent échapper à ce qu’ils appellent la dictature du dollar » - Pascal .

INTERVIEW - Du 22 au 24 août, le sommet des BRICS se tient à Johannesburg. Une réunion particulière cette année, puisque marquée par l’absence de Vladimir Poutine, mais aussi et surtout par la très probable ouverture à de nouveaux membres. Par Sarah Younan

Pascal Boniface, géopolitologue et directeur de l’IRIS, répond aux questions de Capital sur la vision et l’avenir des BRICS.

On en parle peu, pourtant leur influence n’est pas à négliger sur la scène politique internationale. Les BRICS que forment le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud doivent se réunir du 22 au 24 août à Johannesburg pour leur sommet annuel. Sauf que cette année, Vladimir Poutine ne sera pas présent. Poursuivi par un mandat d’arrêt de la Cour Internationale de Justice, l’Afrique du Sud a jugé préférable que le président russe suive la réunion à distance.

Une décision qui ne devrait pas pour autant éclipser le principal enjeu de ce 15e sommet : l’ouverture du club à de nouveaux membres. Les candidatures sont nombreuses et viennent du monde entier. Il faut dire que ces dernières années l’hégémonie sur la scène internationale des puissances occidentales, et plus particulièrement des Etats-Unis, agace de plus en plus. Et dans le même temps, certaines puissances alors émergentes sont devenues incontournables sur le plan économique et diplomatique, à l’instar de la Chine.

De quoi donner aux BRICS des envies de renversement de polarités. Mais ce groupe de pays peut-il vraiment apporter une alternative politique et économique ? Pascal Boniface, géopolitologue, directeur de l’IRIS, auteur de la collection “Comprendre le monde”, dont la 6e édition vient de sortir, apporte son analyse sur la vision et l’avenir des BRICS.

Capital : Le sommet des BRICS qui aura lieu du 22 au 24 août à Johannesburg, se tiendra dans un contexte géopolitique particulier avec la guerre en Ukraine et l’absence de Vladimir Poutine. Est-il devenu un élément gênant pour les autres membres du groupe ?

Pascal Boniface : Aucun des pays des BRICS n’a approuvé la guerre, ni n’a reconnu les acquisitions des territoires de la Crimée en 2014. Pour autant, aucun d’eux ne souhaite une implosion de la Russie ni même une défaite humiliante. La relation qu’ils entretiennent avec la Russie se résume un peu par un « ni avec toi ni sans toi ». On ne connaît pas les motifs réels de l’absence du président russe au sommet.

Mais cela peut s’entendre à la fois par des craintes de l’Afrique du Sud de subir des pressions américaines au cas où il s’y serait rendu et aussi par le désir même de Poutine de ne pas quitter la Russie quand son trône vacille pour des raisons de politiques intérieurs. Quoi qu’il en soit, cette décision est un échec pour Vladimir Poutine qui aurait pu montrer qu’il n’est pas isolé en posant sur la photo avec Modi, Xi Jinping, Lula et Ramaphosa (les présidents indien, chinois, brésilien et sud-africain NDLR).

Capital : Créé en 2001, les BRICS sont depuis vus comme un groupement de pays dit émergents. Cette appellation est-elle toujours valable aujourd’hui ?

P.B : Cette expression est complètement dépassée. Il y a des pays en difficulté d’un point de vue économique, comme la Russie ou l’Afrique du Sud, des pays ré-émergents comme le Brésil ou des pays émergents comme la Chine. De façon plus fondamentale, ce groupe au départ un peu théorique qui est une création artificielle pour redonner confiance aux marchés occidentaux après les attentats du 11 septembre, a développé au fil des ans des intérêts communs au point de s’institutionnaliser. Le sommet annuel en est un des éléments ainsi que la création de la Nouvelle Banque de Développement (NBD). Les BRICS sont devenus une réalité géopolitique menaçante pour une partie du monde.

Capital : Le principal intérêt commun que partagent les BRICS est-il la fin de l’hégémonie du dollar ?

P.B : C’est très clairement leur objectif premier. Lors du discours d’ouverture du New World Economic Forum qui s’est tenu début juillet à Pékin, Dilma Rousseff, ex-présidente du Brésil et présidente de la NBD a réaffirmé qu’il était inadmissible que la monnaie d’un pays puisse diriger l’économie mondiale. Ces pays veulent échapper à ce qu’ils appellent la dictature du dollar, qui donne un poids énorme aux Etats-Unis et ouvre la voie à des sanctions pour les pays qui sont en désaccord stratégique avec la puissance américaine.

Capital : De nombreux états, en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen-Orient, se disent prêts à engager des échanges commerciaux avec d’autres monnaies que le dollar ou ont déjà commencé à le faire, avec le Yuan par exemple. En l’état actuel, est-ce possible de faire sans le dollar ?

P.B : Je pense que ces pays n’imaginent pas s’en passer complètement, mais veulent plutôt alléger le poids du dollar. Cela correspond à la ligne diplomatique de ces Etats qui veulent avoir plusieurs options et non plus seulement d’être allié ou ennemi des Etats-Unis. Un pays comme l’Inde par exemple, qui est pourtant très lié au Etats-Unis, va également dans ce sens et souhaite profiter d’un multi alignement.

L’objectif de dédollarisation ne vise pas à retirer le billet vert de la scène internationale, mais qu’il ne détienne plus le monopole des échanges commerciaux. Ce qui correspond in fine à une volonté plus globale des BRICS de mettre fin au monopole occidental de la puissance.

Capital : Quelle est la position des pays Occidentaux face à cela et celle de Washington ?

P.B : Certains pays Européens aimeraient eux-mêmes que le dollar n’ait plus le monopole des échanges internationaux. C’est notamment un objectif que la France a mis en avant , après que des entreprises françaises aient subi des sanctions extraterritoriales très lourdes pour ne pas avoir respecté la loi américaine. Ce sujet de l’extraterritorialité divise le monde occidental.

Capital : Quel est le prochain grand enjeu porté par les BRICS ?

P.B : L’ouverture à d’autres pays est le sujet central en cours et à venir. Y aura-t-il un élargissement et si oui quels seront les nouveaux venus. Il y a de nombreux pays candidats, ce qui montre l’attractivité de ce club. C’est notamment le cas de l’Arabie-Saoudite. Si ce dernier intègre le club des BRICS, cela marquerait un tournant, en étant à la fois le premier pays arabe, qui plus est doté d’une puissance pétrolière gigantesque.

L’expansion est d’ailleurs déjà à l’œuvre, la Nouvelle Banque du Développement compte neuf membres et non cinq (l’Arabie-Saoudite, le Zimbabwe, l’Argentine et l’Egypte sont membres) et on peut parier sur un élargissement des BRICS lors de ce sommet.

Auteur: MANZI
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