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« ON NE CONGOLISE PAS DES CONGOLAIS ». ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC CORNEILLE NANGAA

L’ancien président de la Ceni est apparu en décembre dernier à Nairobi pour annoncer la création de l’Alliance Fleuve Congo, dont il est le coordinateur. Une structure qui se propose de fédérer les mouvements opposés au régime de Kinshasa. Il a accepté de répondre à nos questions. Par Hubert Leclercq

Monsieur Nangaa, comment en êtes-vous arrivé à prendre la tête du mouvement Alliance Fleuve Congo ?

Il ne faut surtout pas considérer une telle position comme un privilège. Je ne suis qu’un simple serviteur. C’est par la volonté de mes pairs, différents leaders de partis politiques, de mouvements politico-militaires, de la société civile et de la diaspora que j’ai été désigné pour assurer la coordination de l’Alliance Fleuve Congo (AFC). Je leur en suis très reconnaissant. Il s’est agi d’un concours idéal d’objectifs avec les différentes composantes. Nous avons convergé d’abord dans les analyses de la situation de notre pays ; ensuite, nous avons brassé nos différentes préoccupations autour de la gouvernance ténébreuse de la République Démocratique du Congo (RDC) avant d’en tirer des conclusions dans le sens de mener un combat commun.

Quel a été l’élément déclencheur de cet engagement ?

Le pays est en danger. La République tangue dans l’incompétence, le tribalisme, les tueries à grande échelle, les assassinats ciblés, les arrestations arbitraires, la corruption, l’instrumentalisation de la justice, les divisions, l’exclusion, la discrimination, l’oppression, la stigmatisation et toutes formes d’injustices. Nous sommes en face de gens qui ne se soucient nullement du peuple et apparaissent comme des pyromanes déstabilisateurs de la nation. Tout le monde est exaspéré par ces violations constantes de la constitution aujourd’hui couronnées par un banditisme électoral indescriptible. Il fallait pour cela, se lever et dénoncer, puis s’engager pour inverser le rapport de force. Malheureusement, c’est l’unique option qui nous restait pour rétablir la normalité démocratique.

Le M23 existait bien avant que vous apparaissiez à Nairobi mi-décembre dernier pour lancer l’AFC, comment êtes-vous arrivé à vous imposer comme coordonnateur ? Quel est votre légitimité ?

L’AFC est une alliance qui réunit plusieurs composantes. Des forces politiques et sociales, des mouvements politico-militaires et d’autodéfense ainsi que de la diaspora. Concernant la composante « Mouvements politico-militaires et d’autodéfense », il est évident que le fils aîné de cette composante et sur lequel l’AFC s’appuie actuellement est le M23. Ce groupe s’est battu, au prix du sang pour faire entendre ses revendications. Nous saluons ce combat. Malheureusement, le narratif du gouvernement de Kinshasa a tout fait pour se servir du M23 comme instrument de chantage politique au niveau international, le qualifiant de tous les noms d’oiseaux. Parfois taxé de terroristes et par moment de Rwandais alors qu’ils sont Congolais. Tshilombo (Félix Tshisekedi, NdlR) a abusé du M23 comme il le fait avec tous ses partenaires. Je pense que les leaders et tous les membres civils et militaires du M23 ont tout simplement cru en mon combat qui est le même que le leur, celui de refonder l’État, construire l’unité, la cohésion nationale et le vivre-ensemble.

Certains vous présentent comme le « Congolais de service » qui doit « congoliser » un mouvement (le M23) présenté par Kinshasa comme une créature exclusivement rwandaise ?

On ne congolise pas des Congolais. Le M23 est constitué de Congolais. Il n’y a rien d’étranger ici. Le M23 dont on parle n’est pas le seul groupe victime de cette campagne de discrimination. Cette propagande d’un régime inapte basée sur le ‘bouc-emmissariat’ – la faute c’est toujours les autres – ne passe plus. Regardez ce qui se passe à Kinshasa, si la faute n’est pas attribuée au FCC (Front Commun pour le Congo/Kabila), c’est l’épidémie de Covid-19. Lorsqu’ils échouent dans la sécurisation, la faute revient à la guerre en Ukraine, le Rwanda, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est (EAC). Et aujourd’hui, la justification de l’échec est collée à la Mission des Nations-unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo (Monusco), aux Français, aux Belges, aux Britanniques ou aux Américains… Tenez ! Quand Tshilombo avait signé des accords avec le M23 après les avoir logés 14 mois durant à Kinshasa, n’étaient-ils pas congolais ? Quand Tshilombo déclarait en 2019 « le Président Paul Kagame était son frère, un partenaire fiable et nécessaire du Congo », au service de qui était-il ? Oublions cette bande des pleurnichards et incompétents. Ce qu’ils pensent ne nous préoccupe pas, c’est l’avenir de notre pays et sa stabilité qui nous passionnent.

On ne peut pas oublier votre rôle à la tête de la Ceni pour les élections de 2018, vous étiez un proche du président Kabila. Vous vous êtes éloigné de lui ?

Dans l’ordre naturel des choses, les anciens chefs d’État ont un statut particulier qui leur confère une posture de référence dans la gestion des grands enjeux. Le président Kabila a un statut constitutionnel, il est sénateur à vie. Moi j’ai eu le privilège d’animer, six ans durant, l’une des institutions les plus sensibles du pays pendant qu’il était président de la République. Je n’ai jamais caché mon respect et mon admiration pour le sacrifice consenti par le président Joseph Kabila en vue de la stabilité de notre pays avec comme paroxysme la première alternance pacifique à la tête du pays en 2019. J’ai eu la grâce d’être l’un des acteurs à ses côtés pour arriver à cette alternance. C’est d’ailleurs très étonnant de voir que quand il y a des problèmes dans notre pays, on fait appel à l’expertise d’anciens Chef d’États étrangers, pendant que nous en avons un de disponible pour la République maitrisant mieux les enjeux du Congo. Que faisons-nous d’une telle bibliothèque ? Malheureusement, nul n’est prophète dans son pays !

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Votre exemple est-il l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila qui est arrivé à Kinshasa en 1997 en renversant Mobutu ?

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il appert que la cause principale ayant conduit à la création de l’AFDL a été déterrée par Tshilombo : la dictature. Mais le contexte n’est toutefois plus le même. Nous considérons la crise actuelle comme étant pire que celle de 1997. Car à l’époque, outre la déliquescence de l’État, l’insécurité créée par l’afflux des réfugiés et les génocidaires rwandais, le pays était unifié et le peuple se reconnaissait un et indivisible, sans tribalisme. Aujourd’hui, Tshilombo a ruiné l’État, divisé le peuple, pillé le pays et institué les injustices, le tribalisme, les crimes d’État, les crimes économiques et la corruption notamment comme mode de gouvernance. C’est Tshilombo lui-même qui crée l’insécurité, qui organise des milices et massacre la population, regardez le cas des Wazalendo canardés par les éléments de la Garde Republicaine en août 2023 à Goma. Il doit répondre de la mort des généraux Delphin Kahimbi et Timothée Mukunto ainsi que de MM. Ange Matondo et William Ngoy, décédés à l’Agence nationale de renseignement (ANR) ; de la mort du juge Yanyi ; de l’assassinat du Ministre Chérubin Okende ; du massacre des jeunes de l’UNAFEC à Lubumbashi ; du massacre des adeptes de Bundu Dia Kongo et tout récemment du carnage de Fungurume en février 2024. Ce régime est un danger pour le Congo, pour la sous-région, pour l’Afrique et pour toute l’humanité. Il suffit de constater la légèreté et l’opacité avec lesquelles il gère les questions stratégiques liées aux ressources naturelles et environnementales de la RDC pour comprendre qu’il nous expose à un déséquilibre planétaire. Il va falloir y mettre fin.

Les experts de l’ONU ont de nouveau pointé début février le soutien du Rwanda au M23, notamment suite à un tir de missile sol-air, arme dont vous ne disposez pas. Ces experts font-ils erreur ?

Je n’ai personnellement pas lu ce rapport des experts des Nations Unies. Cependant, je crains qu’un tel rapport non vérifié expose l’hypocrisie. En effet, il est un fait qu’à Rutshuru et à Masisi, la population civile est terrifiée par des bombardements aveugles de la coalition gouvernementale de Kinshasa sur la population civile. Tout le monde le sait, y compris les Nations Unies, et tout le monde se tait. Qu’un tel rapport existe réellement, ils sont donc terrifiés à l’idée qu’il y aurait un dispositif qui mettrait un terme à ces bombardements. C’est cynique. De toute évidence, les experts n’ont pas toujours généré des faits tangibles, ce qui compte présentement pour l’AFC, ce n’est pas ‘qui aide qui’ mais notre objectif ultime qui est de libérer toute la RDC. Ceci dit, que le Rwanda, en tant qu’État souverain, mette en place un dispositif de dissuasion des menaces représentées soit par les FDLR qui combattent au côté des FARDC, soit par les déclarations belliqueuses de Tshilombo qui promet de bombarder Kigali, l’AFC n’en a pas les faits ni la responsabilité. Posez directement la question aux concernés.

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Militairement, pensez-vous pouvoir continuer à avancer malgré, notamment, l’arrivée des troupes de la SADC ou la mobilisation de la Monusco ?

L’AFC n’est pas alliance belliqueuse. Sa revendication est claire : restaurer de l’ordre constitutionnel, la normalité démocratique et le vivre-ensemble des communautés, sans discrimination ni stigmatisation. Ce qui est sûr, ces troupes étrangères ne nous effraient pas, étant donné que c’est un problème entre Congolais et qui devrait être résolu par les Congolais eux-mêmes. Nous considérons néanmoins leur appui à un imposteur qui a volé les élections comme étant une erreur d’appréciation stratégique de leur part et un refus d’examiner froidement les causes profondes de la crise actuelle. Nous irons jusqu’à Kinshasa pour évacuer ces jouisseurs tribalistes et mettre fin à ce théâtre de mauvais goût.

On a le sentiment que l’Alliance Fleuve Congo est passée à la vitesse supérieure depuis la prestation de serment de Félix Tshisekedi ?

Dès son lancement le 15 décembre 2023 à Nairobi, l’AFC s’est fixée pour objectif de faire barrage à la dérive autoritaire de Tshilombo et il y a lieu de reconnaître que sa forfaiture électorale du 20 au 27 décembre 2023 a servi d’accélérateur à la lutte. Pour l’AFC, Tshilombo est un imposteur.

Un dialogue avec Kinshasa est-il toujours réellement envisageable ?

Nous avons toujours été favorables à une solution pacifique à la crise. Tous les sociétaires de l’AFC sont ouverts à un dialogue sincère qui permettra d’examiner les causes profondes du conflit. Cependant nous sommes dubitatifs de la bonne foi du régime de Kinshasa au regard d’une part de ses agitations barbares et d’autre part, de sa réputation pour le non-respect des engagements pris.

Quelle est le franchissement de ligne rouge ferait que tout dialogue serait devenu impossible ?

Monsieur Tshilombo a déjà franchi toutes les lignes rouges. Il a crucifié le pacte républicain obtenu difficilement à Sun-City : Violation répétitive de la Constitution, infantilisation de la justice, crimes d’Etat, tribalisme, caporalisation des institutions, paupérisation des forces de défense et de sécurité en privilégiant les troupes étrangères, des massacres à grande échelle et plus grave, un hold-up électoral fantomatique. Cet homme sera arrêté et répondra de ses actes.

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Vous voyez-vous comme le futur maître du Congo ?

Il n’y aura plus de maître de la République Démocratique du Congo en dehors de son peuple souverain. A cet effet, notre ambition est de bâtir une nation unie au cœur de l’Afrique avec des institutions fortes, une constitution et des lois opposables à tous.

Les élections « chaotiques » qui ont permis à Félix Tshisekedi de rempiler pour un second mandat avec un score de plus de 73 % ont-elles fait progresser votre cause ?

Ce simulacre de scrutins tenus du 20 au 27 décembre 2023 avait pour principe le « Qui perd gagne ». Les résultats ont donné une situation telle que celui qui a perdu a été proclamé président de la République. C’est la catastrophe ! Que dire des nominations à l’Assemblée nationale où le parlement est désormais à prédominance d’un seul espace linguistique et géographique brisant ainsi les équilibres géopolitiques et la cohésion nationale, tels que consacrés par la Constitution ? Ces élections font partie du malheur des Congolais. L’AFC ne reconnaît pas les institutions issues de cette farce.

Sentez-vous un élan positif derrière votre mouvement ? Y a-t-il des mouvements, partis, personnalités qui vous rejoignent ou cherchent à vous rejoindre ? Jusqu’ici, on ne voit rien venir ?

Si vous sentez une certaine frousse de la part de Monsieur Tshilombo et son régime, c’est parce qu’ils savent que parmi eux, au sein même de l’Union Sacrée, nous comptons de nombreux alliés, adhérents et membres fondateurs de l’AFC. Compte tenu de la brutalité du régime, nous évoluons dans la discrétion, question de mieux identifier les acteurs, consolider la dynamique et structurer l’Alliance. Sans compter que nous faisons face à la guerre qu’ils nous imposent avec tous ses inconvénients. Mais face à certaines cruautés qui écrasent les valeurs démocratiques, l’option militaire intervient comme une piqûre qui fait mal mais qui guérit. L’AFC est aujourd’hui débordée d’adhérents.

Dernière question, vous présentez le scrutin de décembre dernier comme une farce, en tant que président de la précédente Ceni, vous êtes aussi responsable de la « farce de 2018 » qui a permis à cet homme de s’installer au pouvoir…

Le cycle électoral de 2018 a été un couronnement d’événements historiques pour la République Démocratique du Congo. N’oubliez jamais que le pays était au bord de son éclatement et que depuis que notre pays est une République, nous avons célébré la toute première alternance politique au sommet de l’Etat. La RD-Congo a joui de sa première remise et reprise entre deux Chefs d’État, l’un sortant et l’autre entrant. Si par hypothèses certains pensent que je suis l’auteur de la création de Tshilombo, ce que j’assume, dans ce cas, il nous appartient de corriger en évacuant le monstre. C’est même la grande justification de la lutte que nous menons actuellement.

Auteur: MANZI
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