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PROCES BUCYIBARUTA : Les familles « décimées » de rescapés tutsi

Au procès Laurent Bucyibaruta, l’ ex-préfet rwandais pour génocide, les familles « décimées » de rescapés tutsi

A l’église de Kibeho, ils espéraient y trouver refuge, des milliers de Tutsi y ont été tués en avril 1994. Au procès à Paris de Laurent Bucyibaruta, un ex-préfet rwandais pour génocide, des rescapés ont témoigné mardi de l’ampleur du massacre de l’église de Kibeho, dans le sud du Rwanda. Valence Butera a perdu dans les premiers jours du génocide des Tutsi « environ 35 personnes », dont sa femme, ses sept enfants, un petit frère, des cousins…

« Toute ma famille a été décimée » à l’église de Kibeho, témoigne depuis Kigali ce cultivateur de 70 ans, partie civile au procès devant la cour d’assises de Paris de l’ancien préfet de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta.

L’accusé conteste toute participation à l’extermination des Tutsi.

Le 7 avril 1994, la radio nationale annonce la mort la veille du président hutu Juvénal Habyarimana, la population est bouclée chez elle. « Les Tutsi qui sortaient étaient attaqués en chemin », retrace Valence Butera, traits tirés et large costume-cravate bleu nuit.

Sa maison est « brûlée entièrement » le 10 avril, il passe la nuit « caché dans une forêt » avant de rejoindre comme de très nombreux Tutsi des communes autour de la paroisse de Kibeho, sur la commune de Mubuga, à 40 kilomètres environ de la préfecture de Gikongoro.

« Il y avait tellement de gens dans l’église que ça débordait » jusqu’aux salles de classe de l’école de la paroisse, sur le « parvis » ou « l’arrière-cour », souligne Valence Butera.

Affamés, les réfugiés subissent le 12 avril une première attaque, ils arrivent à repousser à l’aide de pierres la soixantaine d’assaillants armés de fusils et de grenades.

– « Sans échappatoire » –

Parmi eux, Valence Butera reconnaît des ouvriers de l’usine de thé où il travaillait comme contremaître et au sein de laquelle, selon lui et d’autres témoins, le directeur entraînait depuis quelques mois au maniement des armes des miliciens extrémistes Interahamwe.

Les assaillants – gendarmes, miliciens, policiers communaux, paysans – reviennent le 14 avril, beaucoup plus nombreux.

Ils « scandaient l’unique ennemi, c’est le Tutsi », confie à la barre un autre rescapé, Calixte Gatete, 60 ans, flottant dans son costume bleu foncé.

Il s’était réfugié à Kibeho, pensant « comme tout le monde que la maison de Dieux » ne pouvait être attaquée.

Mais les miliciens, « encouragés par les autorités locales », ont tué « hommes, femmes, enfants, vieillards », achevant avec leurs machettes ceux qui tombaient sur le sol en tentant de fuir.

Après sept heures de tuerie sans « échappatoire », Valence Butera réussit à fuir. Il « passe la nuit dans la brousse », voit le lendemain matin l’église de Kibeho ravagée par les flammes, entend « coups de fusils » et « explosions de grenades ».

« Ils ont bloqué les portes principales et mis le feu avec de l’essence et des morceaux de bois », complète Calixte Gatete, dont la soeur et ses cinq enfants ont péri dans le massacre.

Il a pu prendre la fuite avec ses parents avant l’effondrement du toit de l’église et se réfugier au Burundi voisin.

– « Des outils » –

Ce témoin estime à « peut-être 20.000 » le nombre de personnes rassemblées alors à l’église de Kibeho.

Un paysan condamné par un tribunal populaire rwandais pour avoir fait partie des assaillants, également entendu comme témoin, évalue à « 40.000 » le nombre de victimes. « Ceux qui les ont tués les ont comptés avant de partir », assure-t-il à la cour.

« Nous, la population, nous avons été utilisés par les autorités, nous avons été des outils », se défend le témoin, Théoneste Bicamumpaka.

Comme les deux rescapés entendus par la cour, il affirme avoir vu le sous-préfet du secteur avant l’attaque, ce dernier se fâchant contre l’abbé de la paroisse qui refusait de demander aux réfugiés tutsi de quitter les lieux.

L’ex-préfet Laurent Bucyibaruta est accusé pour ce massacre de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour l’empêcher.

Il lui est également reproché d’avoir proposé la nomination comme bourgmestre de la commune de Mubuga, en remplacement du maire assassiné en mai 1994, d’un des meneurs présumés de l’attaque contre la paroisse de Kibeho.

Cet homme, Innocent Bakundukize, doit être entendu mercredi par la cour, avant de nouvelles auditions de rescapés.

Le procès est prévu jusqu’au 12 juillet.

Auteur: MANZI
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