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PROCES BUCYIBARUTA : Un témoignage à charge de l’ex-préfet rwandais

L’ancien préfet rwandais qui comparaît libre à 78 ans devant la Cour d’assises de Paris. Par les médias

En voyant les nombreux cadavres, il avait un « hochement de tête approbateur ». Au procès à Paris d’un ex-préfet rwandais pour génocide, le rescapé d’un massacre de Tutsi a livré vendredi un témoignage à charge, la défense pointant ses « déclarations contradictoires ». Des milliers de kilomètres les séparent. Depuis Kigali, les premiers mots du témoin Simon Mutangana sont pour l’accusé : « Laurent Bucyibaruta a joué un rôle dans le génocide des Tutsi ».

L’ancien préfet, qui comparaît libre à 78 ans devant la Cour d’assises de Paris, reste bien enfoncé dans sa chaise. Il nie les accusations de génocide, complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. Simon Mutangana a fui sa maison et les tueries dès les premiers jours du génocide, qui a fait au moins 800’000 morts entre avril et juillet 1994 au Rwanda, essentiellement parmi la minorité tutsi. Il affirme avoir vu une première fois l’ancien préfet de Gikongoro, région du sud du pays, à son arrivée dans le diocèse où il s’est réfugié avec d’autres Tutsi.

Il leur annonce qu’ils vont être déplacés au camp de Murambi, sur le site d’une école en construction à environ 1,8 km de la préfecture, « dans le but d’assurer notre sécurité », déclare Simon Mutangana. « Ça ne s’est pas passé ainsi », poursuit cet agriculteur de 65 ans, costume gris sur une chemise blanche, qui a perdu de nombreux proches dans ce massacre. À Murambi, les réfugiés affluent en très grand nombre les jours qui suivent. « Nous étions au moins 50’000 », estime Simon Mutangana. « Nous souffrions de la faim et de la soif ».

Le 21 avril 1994 à 3 h 00 du matin, le site est attaqué par des gendarmes et des miliciens extrémistes Interahamwe. « Nous nous battions avec des pierres et des morceaux de bois quand eux utilisaient grenades, fusils, machettes et gourdins », souligne le témoin. « Nous nous sommes battus jusqu’à l’épuisement, certains avaient été tués, d’autres avaient fui », retrace-t-il. Au lever du jour, Simon Mutangana dit avoir vu « des autorités » locales sur place. « Le préfet est arrivé après », assure le témoin. Il ne se rappelle plus l’heure précise. Entendu à de nombreuses reprises, il a pu donner différents horaires mais a toujours maintenu avoir vu le préfet ce matin-là, entre 6 h 00 et 8 h 00. « Je n’avais pas de montre et la situation était catastrophique », justifie le rescapé.

L’ancien préfet conteste les accusations
« Je comprends que vous étiez au milieu de cadavres. C’est dans cette position-là que vous auriez vu le préfet à 30 à 50 mètres de distance », s’étonne l’un des avocats de Laurent Bucyibaruta, Me Jean-Marie Biju-Duval. Le témoin acquiesce. Dans une audition, il avait dit s’être caché « en dehors du camp de déplacés, dans un champ de sorgho », il évoque maintenant la « cour » du camp, souligne encore Me Biju-Duval. n« Ce champ était en contrebas de la cour, je m’y suis rendu après m’être extirpé des cadavres », rétorque Simon Mutangana.

« Je comprends que vous tentez de rendre compatible des déclarations contradictoires », persifle l’avocat de la défense. Il pointe un autre élément : Simon Mutangana a-t-il vraiment entendu le préfet demander aux miliciens de se rendre à la paroisse de Cyanika, à environ 6 km au nord-est, où un autre massacre de Tutsi a eu lieu le même jour ? Ou a-t-il juste supposé que c’était lui et pas une autre personne ? « Je maintiens ce que j’ai dit », répond le témoin, d’un ton toujours égal.

En regardant « les corps jonchant le sol », Laurent Bucyibaruta « faisait un hochement de la tête approbateur », dit Simon Mutangana. « Il a dit aux Interahamwe qui avaient des grenades et des fusils d’aller à Cyanika ». « +Allez à Cyanika+, c’est quelque chose que j’ai entendu de mes oreilles », insiste le rescapé.

L’ancien préfet conteste avoir été présent sur le site le jour de l’attaque, affirmant être resté chez lui. Il sera entendu ultérieurement sur ces accusations. L’instruction avait conclu à sa présence sur le site, se basant sur ce point sur les déclarations constantes de Simon Mutangana.

Deux autres témoins enfoncent le clou !

Deux témoins du massacre de l’école technique de Murambi se sont succédé à la barre ce vendredi 20 mai : un homme qui a participé à cette tuerie, et une rescapée, jeune maman en avril 1994 au témoignage bouleversant.

Le 21 avril 1994, à l’aube, les gendarmes ont attaqué l’école technique de Murambi avec des grenades et des fusils. « Nous autres, gens du voisinage, nous sommes allés encercler l’établissement pour qu’aucun des réfugiés tutsis ne puissent s’échapper. Mais ce sont les gendarmes qui, à l’aube du 21 avril, ont attaqué l’endroit », raconte Vincent.

Cet ancien responsable au centre de santé de Gikongoro a donc participé au massacre. « Je n’avais pas de colère particulière contre les Tutsis. Je suis allé me liguer aux autres. C’était comme me défendre moi-même. J’ai été faible », répétera-t-il trois fois. « Depuis la préfecture, avait-on une visibilité sur l’établissement technique de Murambi ? », lui demande un avocat des parties civiles. « Oui, très bien », répond-il.

Vient ensuite à la barre Juliette Mukakabanda. Longuement, cette femme hutue, épouse d’un Tutsi, va raconter son calvaire. Conduite à pied par les gendarmes, sa famille arrive au centre de Murambi. « Il n’y a plus d’eau. On nous a comptés soi-disant pour nous donner à manger, mais rien n’est venu. Les quelques vaches qu’avaient amenées les réfugiés, nous avons dû manger la viande crue, dit-elle en pleurs. On savait bien qu’on était là pour être tués. »

Elle raconte comment les gendarmes auraient accepté qu’elle parte au vu de sa carte d’identité hutue si elle avait abandonné ses enfants. C’est finalement un milicien hutu qui aura pitié d’elle et de son bébé de trois semaines. Son mari et ses deux autres enfants seront tués par balle à Murambi.

Les trois rescapés qui témoignent ce vendredi relatent ainsi la soif, la faim, les armes de fortune pour se défendre, pierres et briques contre balles et grenades... et l’hécatombe parmi leurs proches. Tous affirment avoir rejoint le camp encadrés par les gendarmes, et sur ordre du préfet qui leur avait promis assistance.

Ils prétendent aussi que Laurent Bucyibaruta, alors qu’il visitait Murambi après le massacre, aurait encouragé les Interahamwe à poursuivre leur sinistre besogne à Cyanika. Mais l’ont-ils vu ou entendu sur les lieux ? L’une dit avoir aperçu la voiture du préfet à l’entrée du camp. L’autre dit l’avoir vu et entendu en chair et en os, à moins de 50 mètres. Mais il se contredit sur le lieu où il se trouvait par rapport à ses déclarations précédentes. Un peu de grain à moudre pour la défense.

Auteur: MANZI
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