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RDC : L’État congolais a tué mon frère

La tragédie humaine se joue dans l’est du pays ne peut être expliquée par la seule présence du groupearmé M23 : c’est l’absence des institutions de l’État qui est derrière l’instabilité et la prolifération de la violence, et non l’inverse. Contribution externe

Une opinion de Jean-Pierre Karema Bisengimana, Citoyen congolais, Membre de MaishaRDC (Observatoire des discours de haine, d’incitation au génocide et la xénophobie dans la Région des Grands Lacs et en RDC).

En juin 2022, mon petit frère Fidèle Ntayoberwa, un commerçant tutsi congolais, a été lynché à mort par une foule d’habitants à Kalima, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Son assassinat a marqué l’apogée de semaines d’appels à la haine des autorités de la province, dont son gouverneur et chef de la police, et a été rendu possible par la complicité des forces de sécurité.

Une victime de plus du “drame congolais”. Ce ne sont pourtant pas des rebelles ou des bandits qui m’ont arraché mon frère, mais des représentants de l’État. Son crime ? Appartenir à la communauté banyamulenge – une population rwandophone présente à l’est du Congo depuis plusieurs générations, mais dont la citoyenneté est remise en question.

La haine ethnique dont nous sommes victimes est depuis des décennies instrumentalisée par l’élite congolaise pour asseoir ses propres ambitions. Aujourd’hui, à l’approche de l’élection présidentielle prévue en décembre de cette année, le Président Félix Tshisekedi a lui-même commencé à souffler sur les braises de la haine ethnique pour justifier son bilan peu reluisant, et les Congolais ordinaires en paient le prix.

Des Congolais comme les autres

Je suis issu de la communauté banyamulenge – une population d’éleveurs rwandophones installés dans les hauteurs du Kivu depuis la fin du XVIIIe siècle. Je suis né et j’ai grandi au Congo, qui est le seul pays que j’aie jamais considéré comme ma patrie. Aucun membre de ma famille n’a jamais pris les armes contre notre gouvernement. C’est le cas de la majorité des populations rwandophones du Congo.

Le meurtre de mon frère est la conséquence directe de l’idéologie raciste importée au Congo en juillet 1994, quand un million et demi de réfugiés rwandais hutus – dont un grand nombre de génocidaires – traversèrent la frontière à la suite du génocide des Tutsis au Rwanda. De là, l’idéologie anti-Tutsi a depuis contaminé l’ensemble du pays, et a trouvé un terreau fertile dans l’instabilité chronique et le désengagement de l’État à l’est du pays.

La situation a atteint des proportions tragiques. D’après le groupe d’experts de l’ONU, depuis 2017, une coalition de groupes armés collabore avec l’armée congolaise pour cibler les communautés banyamulenges. Et contrairement aux exactions précédentes, qui prenaient la forme de pogroms épisodiques, les Banyamulenges sont aujourd’hui la cible de véritables opérations militaires qui semblent être menées dans le but de totalement les éradiquer.

À la mi-juin 2022, le gouvernement congolais, sous la pression des hauts fonctionnaires de l’ONU, a déclaré qu’il engagerait des poursuites judiciaires contre ceux qui menaçaient d’attaquer les Tutsis. Pourtant, à ce jour, le meurtre de mon frère reste impuni, tandis que 85 % des villages banyamulenges ont été détruits, et que plus de 150 000 d’entre eux vivent actuellement dans des camps de réfugiés.

Cécité internationale

La moindre référence à ces exactions est rencontrée par une levée de boucliers, tandis que les autorités de Kinshasa accusent Kigali de surdramatiser la situation afin de détourner l’attention des accusations de soutien du mouvement M23.

Pourtant, de nombreuses voix dont l’impartialité est difficilement contestable ont tenté de tirer la sonnette d’alarme. Le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU confirme ainsi que les communautés tutsies congolaises continuent de faire l’objet de violences sans qu’aucun des auteurs de ces crimes ne soient tenus responsables par le gouvernement de la RDC.

Cette tragédie humaine se joue dans l’indifférence des médias et de l’opinion publique, alors que toute l’attention est portée sur le M23, considéré comme le seul responsable de la crise actuelle. Cette focalisation sur le M23 – qui n’est qu’un des 130 groupes armés établis à l’est de la RDC – inverse la causalité du problème : c’est l’absence des institutions de l’État à l’est du pays, qui est devenu une zone de non-droit, qui est derrière l’instabilité et la prolifération des groupes armés, et non l’inverse.

Pour preuve, le même rapport onusien constate également que les problèmes de sécurité endémiques en RDC sont avant tout causés par des facteurs internes, tels que la corruption et la mauvaise gouvernance. Il apporte également des preuves de la collaboration des forces armées congolaises avec des groupes armés. Des activités criminelles qui n’ont jamais été condamnées par la communauté internationale.

Cesser d’entretenir le chaos

Mon frère a été tué par un État dont l’armée est un partenaire direct des troupes des Nations Unies, et financée par des partenaires étrangers. Malgré ces abus, l’approche simpliste adoptée par la communauté internationale qui consiste à supporter l’État congolais sans s’attaquer aux causes profondes du conflit n’a fait qu’entretenir le cycle des violences à l’est du pays.

Le soutien international indéfectible à Kinshasa a quant à lui confirmé aux dirigeants congolais qu’ils pouvaient lancer des appels à la haine en toute impunité. Il est plus que temps que cela cesse.

Car si la campagne présidentielle et sa propagande incendiaire seront bientôt derrière nous, le feu de la haine ethnique que les élites politiques ont attisé dans le cœur de la population congolaise mettra plusieurs générations à s’éteindre.

Auteur: MANZI
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