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SAHEL : Le Burkina Faso Confronté à Une Dangereuse Vague de Haine Anti-Peul

Les autorités s’inquiètent de la multiplication des appels aux attaques contre la communauté de Peul, accusée de complicité avec les groupes jihadistes. « Il faut tuer, il faut exterminer. » Par Agnès Faivre

Des centaines de personnes ont manifesté, en juin 2019, devant le tribunal de Ouagadougou pour exiger « vérité et justice » pour les victimes de Yirgou. (Olympia de Maismont/AFP)

« Il faut tuer, il faut exterminer. » L’homme qui ponctue ainsi son appel assumé à l’« épuration ethnique » a une voix posée, presque sympathique. L’« Audio du sud-ouest », tel qu’il est baptisé, a inondé les réseaux sociaux burkinabés vers la mi-août. Un discours haineux de quinze minutes, en français, qui enjoint clairement à attaquer la communauté peule. Extraits : « C’est un Rwanda qui se prépare » ; « Le gouvernement n’a qu’à [me poursuivre], moi je le dis haut et fort, il faut exterminer, il faut mater, il faut nettoyer, il faut tuer » ; « C’est la lutte à la russe qui marche ».

Deuxième groupe ethnique du pays en termes de population, de tradition pastorale, la minorité peule est stigmatisée depuis l’insurrection jihadiste qui a débordé du Mali vers le Burkina Faso en 2015. Car les groupes islamistes armés ont recruté – non exclusivement –, de nombreux Peuls en leur sein.

Ces diatribes vocales ne sont ni nouvelles, ni inoffensives. Elles attisent les braises. « Les Peuls sont pris en étau entre, d’un côté les groupes armés qui tuent sans discriminer, et de l’autre, certains acteurs étatiques indélicats ou milices pro-étatiques qui n’accordent aucune présomption d’innocence aux membres de cette communauté », résume Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC).

Cette organisation a été créée au lendemain du premier massacre interethnique au Burkina Faso, à Yirgou, dans la région du Centre-Nord. Le 1er janvier 2019, en représailles à une attaque dans cette localité, des milices rurales d’autodéfense (les « Koglweogo ») soutenues par des villageois étaient parties à l’assaut de villages et hameaux peuls, faisant 216 morts selon le CISC.

Indignation et justice « sélectives »

L’organisation a également documenté plus de mille exécutions extrajudiciaires depuis 2019, et recensé plus de mille cas de disparitions forcées, tortures, ou violences ciblant des femmes. Le massacre le plus récent remonte au 8 août : plus de 40 corps ont été retrouvés au bord d’une route du Centre-Nord. Selon divers témoignages, les victimes auraient été enlevées puis exécutées par « des éléments des forces de défense et de sécurité habillés en tenues noires et encagoulés », accompagnés de « volontaires pour la défense de la patrie », les supplétifs civils de l’armée. L’état-major burkinabé n’a pas fait de commentaire.

Le 3 août, l’armée avait annoncé que des civils se trouvant « à proximité d’un repère terroriste » dans la région de l’Est avaient été tués lors d’une opération, et qu’une enquête avait été ouverte. Ce fut aussi le cas le 9 juin dans la région du Centre-Sud, après que l’armée avait déclaré avoir tué deux civils dont un gardien de troupeau lors d’une attaque aérienne. D’autres « dommages collatéraux » ont été reconnus.

Mais selon Daouda Diallo, qui multiplie les dépôts de plaintes, l’indignation comme la justice sont « sélectives ». Le 9 juin, à l’issue de la publication de deux autres diatribes anti-peul sur les réseaux sociaux, et de menaces visant l’ex-journaliste Ahmed Newton Barry (un patronyme peul), le gouvernement avait condamné « des propos qui choquent profondément la conscience humaine ». « Trois personnes ont depuis été déférées au parquet pour incitation à la violence, et les investigations se poursuivent », indiquent des sources sécuritaires.

Auteur: MANZI
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